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Positif et fier de l’être (je parle de médiation)

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Vous l’avez sans doute remarqué : depuis quelques temps, être « positif » ne paraît pas être une bonne chose en société. En fait, c’était déjà le cas depuis la fin des années 70. Dans de nombreux cas, être « négatif » semble préférable…

Nos esprits aiment bien penser une chose et son contraire en même temps : le premier contraire de « positif » qui vient à l’esprit est « négatif ». Mais « positif » a un autre contraire : « normatif ». Cette distinction s’applique à de nombreux domaines dont la médiation, comme nous allons le voir. 

On doit cette différence au logicien John Neville Keynes, le père du célèbre économiste. Dans son ouvrage « La portée et la méthode d’économie politique » paru en 1890, il avance « Comme le terme est utilisé ici, une science positive peut être définie comme un ensemble de connaissances systématisées concernant ce qui est ; une science normative ou régulatrice en tant qu’ensemble de connaissances systématisées relatives à des critères de ce qui devrait être, et donc concernée par l’idéal en tant que distinct de l’actuel ; un art en tant que système de règles pour la réalisation d’une fin donnée. »

« As the terme are here used, a positive science may be defined as a body of systematized kwoledge concerning what is; a normative or regulative science as a body of systematized kwoledge relating to criteria of what ought to be, and concerned therefore with the the ideal as distinguished from the actual; un art as a system of rules for the attainment of a given end. »

Keynes, John Neville (1890, réed. Batoche Books, Kitchener, 1999), "The Scope and Method of Political Economy", p.22.

Appliquée aux individus, cette définition permet de distinguer la manière dont ils se comportent, la façon dont ils devraient se comporter et les moyens d’y parvenir.

Par exemple, chez le pessimiste Jean-Jacques Rousseau, «l’homme est naturellement bon » est normatif : certes cette hypothèse résulte d’une « démonstration » qui ne convainc pas pleinement, mais cet état est très nettement jugé préférable. De même, que la société pervertisse l’homme relève aussi d’une approche normative : il y a clairement un jugement de valeur négatif. Et c’est justement l’objet du contrat social de palier les effets néfastes de la société : il relève ainsi de l’art. 

 

« Les hommes sont méchants; une triste & continuelle expérience dispense de la preuve; cependant lʼhomme est naturellement bon, je crois lʼavoir démontré; quʼest-ce donc qui peut lʼavoir dépravé à ce point, sinon les changemens survenus dans sa constitution, les progrès quʼil a faits, & les connoissances quʼil a acquises? Quʼon admire tant quʼon voudra la société humaine, il nʼen sera pas moins vrai quʼelle porte nécessairement les hommes à sʼentre-haïr à proportion que leurs intérêts se croisent, à se rendre mutuellement des services apparens & à se faire en effet tous les maux imaginables » 

Rousseau, Jean-Jacques ("Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes" in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 1, in-4°, pp.60-61.

Il est fréquent que la médiation ait également une démarche normative : tel courant s’inspire de textes, qu’ils soient juridiques, médicaux ou religieux, tel autre que les individus recherchent l’entente. On a ainsi toujours une référence, une norme : on assigne un objectif commun à chaque individu.

Ces conceptions sont issues d’une longue tradition initiée par le suisse Jacques Bernouilli en 1713 dans « Ars Conjectandi », précisé par le français Abraham de Moivre en 1733 dans « Approximatio ad Summam Terminorum Binomii ». Ces travaux sont complétés pas ceux de l’allemand Carl Friedrich Gauss qui, dans son ouvrage « Theoria motus corporum cœlestium in sectionibus conicis solem ambientium » paru en 1809, élabore une théorie des erreurs d’estimation ; elle a été développée en 1814 par le français Pierre-Simon de Laplace dans son livre « Essai philosophique sur les probabilités ». En 1869, le belge Adolphe Quetelet y a recours pour définir « l’homme moyen ». Et c’est probablement en 1893 que cette loi devient « normale » dans un cours de Henri Poincarré. Tout un programme… que la langue anglo-saxonne consacre en parlant de « deviation ». Mais nous y reviendrons dans un prochain post.

« Les volontés individuelles se neutralisent au milieu des volontés générales […] L’action individuelle de l’homme [dans les phénomènes]  peut être considérée comme sensiblement nulle. » 

Quetelet, Adolphe (1869, "Physique sociale ou essai sur le développement des facultés de l'homme" rééd. Académie Royale de Belgique, 1997, pp.100 et 108).

Il semble dès lors difficile d’échapper à une référence à une norme quelconque et chercher les invariants du comportement humain semble impossible. Peut-être devons-nous alors nous tourner vers une approche résolument positive, à savoir que si l’individu prend des décisions, celles-ci sont contraintes : elles ne sont prises qu’avec une rationalité limitée (bounded rationality), concept développé par l’économiste et sociologue américain Herbert Alexander Simon (prix Nobel en 1978) dans « Models of man; social and rational » (1957, Wiley).Si la rationalité des individus est limitée, c’est en raison de nombreux facteurs parmi lesquels  :

  • Il ne dispose pas d’une information parfaite pour prendre la meilleure décision ;
  • Il n’a pas tout le temps de l’acquérir et de réagir ;
  • Il est sujet à des émotions et à des sentiments subjectifs ;
  • Etc.

 

« La première conséquence du principe de rationalité bornée est que la rationalité voulue d’un acteur l’oblige à construire un modèle simplifié de la situation réelle pour y faire face. Il se comporte rationnellement par rapport à ce modèle, et un tel comportement n’est même pas approximativement optimal par rapport au monde réel. Pour prédire son comportement, nous devons comprendre la manière dont ce modèle simplifié est construit, et sa construction sera certainement liée à ses propriétés psychologiques en tant qu’animal percevant, pensant et apprenant. »

Simon, Herbert Alexander (1957, "Models of man; social and rational", Wiley).

Dès lors, il ne prend pas la meilleure décision, mais l’une – souvent parmi les premières – qui le satisfasse, quelles qu’en soient les raisons. Le distinguo est de taille.

Dès lors la médiation n’est plus normative mais devient positive : elle vise à l’aider à réduire les limites de sa rationalité, et donc à améliorer sa solution. Opérant de même avec les deux protagonistes, c’est donc un nouveau champ de solutions plus satisfaisantes pour tous qui s’ouvre. Ce qui est déjà beaucoup…

Les salariés, les managers et les dirigeants pourraient aller voir le site de Médiation positive

 

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